Articles de Presse Récents
Revue ENSAE : Variances.eu 28 mars 2022
Les sondages électoraux : représentativité, biais et marges d’erreur
Par Michel Lejeune
Dans cet article, j’aborde quelques problèmes des sondages d’opinions rencontrés tant dans les pratiques que dans les conceptions, en me concentrant sur les sondages d’intentions de vote étant donné le rôle important qu’ils tiennent dans le jeu électoral.
La « méthode » des quotas et l’aléatoire
Chacun a pu lire dans la presse la mention « sondage représentatif selon la méthode des quotas » qui accompagne tout sondage publié. L’usage de quotas a été empiriquement introduit par le Norvégien Anders N. Kiaer[i] à la fin du dix-neuvième siècle dans ce qu’il a appelé « la méthode représentative », laquelle proposait également un volet aléatoire. La communauté scientifique est restée partagée entre la méthode raisonnée ou judicieuse, reposant essentiellement sur les quotas, et la méthode aléatoire. En 1934, Jerzy Neyman[ii] a théorisé la méthode représentative qui correspondait alors à un plan stratifié où l’on échantillonne aléatoirement indépendamment dans des strates de la population, avec des effectifs proportionnels à ceux des strates, typiquement des strates géographiques, en montrant le gain en précision que l’on pouvait en tirer. Nous, statisticiens, avons gardé le terme représentatif uniquement en référence à ce plan de sondage alors que les sociologues, acteurs majeurs des sondages d’opinion, ont occulté toute référence à l’aléatoire.
Ainsi, aujourd’hui encore, les traités de sciences sociales mentionnent qu’il existe deux méthodes de sondage : la méthode aléatoire et la méthode des quotas pour laquelle on utilise encore le concept de méthode raisonnée. Cette vision dichotomique est d’ailleurs une spécificité française. Elle joue sur l’ambiguïté du terme « représentatif » qui porte à croire que la réalisation de quotas est une condition suffisante pour faire un « bon » échantillon. Chez les sociologues, les politologues, les journalistes, sans parler du grand public, quotas riment avec représentativité et donc bon échantillon, ce qui ne peut évidemment que satisfaire les sondeurs. Peu importe que les quotas sur quelques variables socio-économiques n’empêchent pas des biais sur d’autres variables et notamment les variables à estimer, que la « méthode » ne précise pas où ni comment aller rechercher les individus. Il est difficile de faire admettre que la recherche d’aléatoire pour la sélection des individus, en amont des contraintes de quotas, reste une priorité. Il serait sain de substituer aux termes « méthode des quotas » les termes de contraintes de quotas....
Sur MAG2LYON N° 141 Janvier 2022
Interview
SONDAGES “Les media doivent reprendre la main !”
Les sondages rythment chaque élection à une cadence de plus en plus effrénée. La prochaine présidentielle n’y échappe pas. Ces études d’opinion sont pourtant de moins en moins bonne qualité selon le statisticien Michel Lejeune. Cet universitaire grenoblois, auteur d’un livre remarqué sur “La singulière fabrique des sondages”, vient de publier une tribune où il demande de ramener “l’activité sondagière dans le champ scientifique” (1). Mag2Lyon lui a posé les questions qui fâchent. Comment expliquer cette dérive? Comment reconnaître un bon sondage? Comment s’en sortir? Sans œillère ni tabou comme à notre habitude! Quitte à être critiqué nous aussi, journalistes ! Propos recueillis par Lionel Favrot ...
https://www.mag2lyon.fr/sondages-les-media-doivent-reprendre-la-main/
Le Monde, 14 décembre 2021
Il faut ramener l’activité sondagière dans le champ scientifique
Tribune par Michel Lejeune, statisticien
L’article récent de Luc Bronner (« Dans la fabrique opaque des sondages », Le Monde du 5 novembre 2021) a dû retourner bien des esprits. Il a donné la preuve évidente que les sondages d’opinion étaient loin d’avoir la qualité vantée par les sondeurs, aussi bien sur le plan de la sélection et du contrôle des échantillons que sur la nature des questionnaires. Pourtant, combien d’observateurs avertis n’ont-ils pas alertés sur les biais de sélection des access panels Internet devenus la norme ? On les a écoutés distraitement en revenant toujours vers la parole rassurante des sondeurs.
Avec l’apparition et l’usage d’Internet, les sociétés de sondage se sont détournées de la méthode scientifique. Dans leur positionnement concurrentiel, elles ont toutes cédé aux avantages des faibles coûts, de l’immédiat et de la prolifération aux dépens de la qualité. Elles ont développé une démarche empirique, laquelle, n’ayant pas de justification théorique, les a amenées à construire un discours pseudoscientifique séduisant mais peuplé de contre-vérités. Certes cette démarche peut, de temps à autre, donner des résultats jugés corrects dans les intentions de vote proches de la date du scrutin, mais elle n’offre aucune garantie a priori....
Analyse Opinion Critique, 12 octobre 2021
Des ombres planent sur les sondages en vue de la présidentielle
Les échecs récents des sondeurs pour les intentions de vote des élections régionales ont mis en évidence les problèmes structurels actuels de leurs pratiques qui laissent présumer de grandes incertitudes pour la campagne des sondages pour les présidentielles qui a déjà démarré à plein régime. Tous les sondages effectués au mois de juin pour le premier tour des élections régionales 2021 ont surestimé le vote Rassemblement National, de l’ordre de 4 à 10 points selon les régions (sauf pour la Corse où le RN est très faible). En Occitanie, en Auvergne-Rhône-Alpes, en Normandie les 10 points ont été atteints ce qui est une situation inédite. Mécaniquement ces écarts ont été préjudiciables à d’autres listes. Ainsi en Occitanie la liste PS/PCF/PRG a pu perdre près de 11 points. Pris de court par ce fiasco généralisé les sondeurs ont donné, de concert, une explication improvisée : les écarts auraient été dus à leur sous-estimation de l’abstention. En fait il n’en est rien car, dans leurs approches, leurs estimations de l’abstention n’ont pas de lien avéré avec l’amélioration des estimations d’intention de vote.
En réalité les causes de la déroute sont structurelles et donc moins avouables...
Libération, 8 octobre 2021
Le phénomène Eric Zemmour: une bulle sondagière ?
Par Alexandre Dézé et Michel Lejeune
L’incroyable buzz médiatique qui entoure Eric Zemmour est-il fondé ? Dernièrement, le polémiste d’extrême droite, qui n’est pas encore officiellement candidat à l’élection présidentielle de 2022, s’est vu créditer de 13% à 16% d’intentions de vote dans les sondages, Selon les résultats de l’enquête Ipsos-Steria parus dans Le Parisien-Aujourd’hui en France du2 octobre, il obtiendrait 15%, devançant désormais Xavier Bertrand (14%), et talonnerait Marine Le Pen (16%). Dans les pages du journal, on apprend encore que le sondage aurait eu l’effet d’une « bombe » à droite et qu’il consacrerait « l’effondrement d’Anne Hidalgo ». Mais que valent ces résultats ? En réalité, pas grand-chose....
Voir l'article sur liberation.fr
https://journal.liberation.fr/liberation/liberation/2021-10-08